J’adore les jeux auxquels s’adonnent les enfants. Chez nous, peu de temps s’écoule entre les parties de cache-cache ou de loup ! Pour contrebalancer l’excitation de la poursuite, un certain endroit est généralement désigné comme le camp ; tous les participants y trouvent refuge face à des assaillants potentiels. À mes yeux, un jeu simple comme celui-ci est le reflet de ce qui se trame dans le monde qui nous entoure. Après tout, le désir d’un refuge semble universel. Un havre accueillant pour les navires, la promesse d’une lampe allumée sous un porche, ou encore le paysage familier de sa ville natale… Tous évoquent un sentiment d’arrivée à bon port qui nous tranquillise. C’est tout aussi vrai dans l’univers de la musique.
Pour nombre d’entre nous, jouer de la musique représente bien plus qu’un simple loisir. Avec une guitare entre les mains, nous pouvons temporairement nous transporter en un lieu isolé des tensions et de la frénésie du monde extérieur. Dans cet espace musical, même les réflexions sur des événements passés ou présents peuvent être organisées sereinement. Cette idée de refuge imprègne aussi les structures musicales en elles-mêmes. Je me rappelle avoir appris une forme de sonate classique en cours de musique : la mélodie débute dans un espace familier, s’éloigne au fil du temps de son thème principal et de sa gamme fondamentale ; la tension monte, atteignant un point de rupture culminant, pour ensuite donner naissance à un immense sentiment de soulagement, alors que la mélodie retrouve sa tonalité originelle et son thème essentiel.
Un refuge peut également servir de base pour construire une communauté. De plus en plus de cas de figures sont concernés par le terme « communauté », qui possède de nombreuses définitions. Je l’ai récemment entendu décrire un endroit où une personne continuait à venir. Cette définition me semble juste pour plusieurs raisons. En tant que communauté de musiciens, nous aimons nous rendre dans des espaces musicaux où nous nous sentons bien, et partager avec nos autres comparses instrumentistes. Au-delà de simplement se rendre à un endroit, il y a des fois où une communauté est fondée tant sur un endroit commun que sur un objectif commun. Taylor Guitars est l’une de ces communautés. En surface, nos usines et nos centres de réparation sont des endroits où nous nous rendons. Ces lieux abritent nos ateliers, nos outils, nos bois et nos matériaux. Chacun d’entre nous s’y rend pour accomplir les tâches qui lui incombent, mais nous sommes tous unis autour d’un but commun : fabriquer les instruments les plus expressifs qui soient, afin d’inciter les musiciens à composer.
Avec une guitare entre les mains, nous pouvons temporairement nous transporter en un lieu isolé des tensions et de la frénésie du monde extérieur.
Dans mon esprit, on peut faire un parallèle avec la guitare en elle-même. En tant qu’instrument, elle est composée de plusieurs éléments qui se retrouvent tous ensemble au même endroit. Un dos, une table, un chevalet, un manche, une touche… Tous ces éléments partagent le même espace et constituent une communauté interactive. Chacun de ces composants joue un rôle qui lui est propre, et contribue à la réussite et à la fonctionnalité de la guitare en tant que tout. Chacun présente une forme qui n’appartient qu’à lui, est fabriqué avec un matériau adapté et occupe un espace unique dans cet assortiment de pièces complexes imbriquées les unes aux autres. Pourtant, ensemble, ces éléments forment une communauté unique, dont l’objectif est d’offrir aux musiciens une voix et une inspiration sans cesse renouvelée. Ce petit microcosme de communauté a fourni un résultat – un but – bien au-delà du simple assemblage de pièces. Il crée un sentiment de sécurité pour le guitariste.
Autre aspect sous-jacent d’un refuge : l’impression de continuité. Dans l’inconscient collectif, un refuge est un endroit qui demeure toujours accueillant et immuable. Peut-être est-ce pour cela qu’il peut être déconcertant de revoir sa maison d’enfance et de réaliser que les murs ne sont plus de la même couleur que dans vos souvenirs, ou que la palissade où vous vous mesuriez a été remplacée.
Cependant, nous pouvons tous admettre qu’un refuge, c’est bien plus qu’un endroit physique : c’est un environnement qui s’adapte doucement, continuellement, aux besoins et aux actions d’une famille, de la même manière que notre chanson préférée prend une dimension inédite à chaque concert, alors qu’elle reflète un nouvel état d’esprit. Cette lente métamorphose est ce qui permet à un refuge d’être inaltérable ; il devient durable, pour ne jamais tomber en décrépitude. Les ravages de l’existence éroderaient tout ce qu’il y a de bon dans un foyer ou une communauté si ces derniers demeuraient isolés et ne connaissaient pas d’évolution et ce, jusqu’à ce qu’une refonte complète soit nécessaire pour y insuffler une nouvelle vitalité.
Un dos, une table, un chevalet, un manche, une touche… Tous ces éléments partagent le même espace et constituent une communauté interactive.
L’un de mes amis possède une guitare ancienne qu’il adore. Elle a subi tellement de réparations, de procédures d’entretien et d’évolutions au fil du siècle écoulé qu’il ne reste que peu d’éléments de la guitare d’origine, à part la forme donnée au départ par son luthier. Même s’il ne comporte presque que des éléments remplacés ou restaurés, cet instrument est tout aussi pertinent dans un cadre musical que lorsqu’il a été créé. J’irais même jusqu’à dire que c’est grâce à cette métamorphose progressive au fil du temps qu’il peut continuer à faire entendre sa superbe voix. Si elle avait été laissée à elle-même, cette guitare serait tombée en décrépitude plusieurs décennies auparavant.
De manière similaire, la pérennité à long terme de cette communauté que nous appelons Taylor Guitars ne peut s’établir que sous la forme d’une métamorphose lente et délibérée. Résultat d’années de planification, Taylor est depuis peu devenue une entreprise détenue par ses employés. Nous adorons tous cet endroit et le travail que nous y faisons. Passer les portes, sentir les odeurs familières, entendre les bruits liés à la fabrication… On a l’impression d’être chez soi. Par le biais de cette structure, cette communauté Taylor a trouvé un refuge dont l’espérance de vie dépassera celle de Kurt, Bob et moi-même ; elle pourra évoluer et répondre aux besoins de la famille d’employés-propriétaires qui s’y trouvent, et des musiciens qui jouent sur les instruments que nous aimons y fabriquer. Tant que nous continuerons à aimer notre travail, ces guitares que nous fabriquons présenteront chaque jour à nos yeux une importance un peu plus significative que la veille : en effet, nous les créons en sachant qu’elles constituent un refuge pour ceux qui en jouent comme pour ceux qui les produisent.