• 2023 Édition 2 /
  • Retour au Cameroun : dernières nouvelles de l’Ebony Project
Header image of staff from Taylor Guitars and the Crelicam mill in Cameroon standing around a sign for the Ebony Project in French

Développement durable

Retour au Cameroun : dernières nouvelles de l’Ebony Project

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Quatre années après leur dernier voyage, Scott Paul et Bob Taylor sont revenus au Cameroun et ont constaté de leurs propres yeux la croissance prometteuse de l’Ebony Project.

Cela faisait quatre ans que je n’étais pas allé au Cameroun. Dans le cadre des responsabilités qui m’incombent avec l’Ebony Project de Taylor Guitars, j’y venais régulièrement pour rencontrer les membres de l’équipe au Congo Basin Institute et pour me rendre sur les sites du projet, où les villages participants plantent des ébènes et des arbres fruitiers. Ces voyages étaient également l’occasion de m’informer des dernières recherches scientifiques menées par le Dr Vincent Deblauwe et son équipe. Comme s’en souviennent les lecteurs de Wood&Steel, l’Ebony Project a été lancé en 2016 en vue de mener des recherches écologiques fondamentales et de planter des ébènes ainsi que des arbres fruitiers. Si vous souhaitez obtenir de plus amples informations à son sujet, vous pouvez consulter les rapports annuels sur l’état d’avancement à l’adresse crelicam.com/resources.

Après avoir atteint notre objectif initial (planter 15 000 ébènes en 2021), nous avions défini de nouveaux objectifs de plantation : d’ici fin 2026, nous voulions planter 25 000 arbres fruitiers et 30 000 ébènes supplémentaires. À ce jour, Bob Taylor a financé personnellement la quasi-totalité du projet. D’autres y ont contribué ; Taylor Guitars fournit d’ailleurs une grande partie de son soutien en nature.

Le 19 mars 2020, alors que Bob et moi nous préparions à un voyage de printemps au Cameroun, l’ensemble du personnel de l’usine d’El Cajon s’est vu assigné à résidence, sans préavis. La COVID-19 avait posé ses valises à San Diego ; les déplacements au Cameroun (et partout ailleurs) étaient proscrits. Trois ans plus tard, en février dernier, Bob et moi avons finalement pu nous rendre au Cameroun. Cependant, avant que l’heure du départ ne sonne, j’avais du mal à réaliser que je n’y étais pas allé depuis avril 2019. La pandémie a vraiment eu un impact sur ma perception du temps. Maintenant que je suis revenu, tout me semble plus concret. Le projet a pris de l’ampleur, et le fait de constater les changements a remis les choses en contexte sur le plan temporel. Je me disais donc que le moment était venu de vous donner les dernières nouvelles du projet.

Andy Allo, actrice, guitariste et compositrice-interprète camerouno-américaine, s’est jointe à nous lors de ce voyage. Fille d’un écologiste respecté, Andy est née et a grandi au Cameroun. Elle en était partie à l’âge de treize ans, et n’y était pas revenue depuis. Grâce au destin (ainsi qu’à son talent et à son travail acharné), Andy a pu jouer de la guitare dans le groupe New Power Generation de Prince. Elle a sorti plusieurs disques solo, et se produit dans la série télévisée Chicago Fire, la série Amazon Upload et Star Wars : The Bad Batch sur Disney+. Andy joue sur une Taylor. Quand elle a voulu en savoir plus sur ce que nous faisions au Cameroun, Tim Godwin (notre directeur des relations artistes) et moi-même nous sommes rendus à Los Angeles pour déjeuner en sa compagnie. Lorsque l’addition est arrivée, elle en était pleinement convaincue : elle nous accompagnerait lors de notre prochain déplacement. Au cas où vous en doutiez : c’est une fille géniale.

Quelque temps plus tard…

J’ai retrouvé Andy à l’aéroport à Paris, où nous nous sommes rejoints avant de prendre un vol pour Yaoundé (capitale du Cameroun) qui y atterrirait le même soir. Bob y était arrivé quelques jours plus tôt, car il souhaitait passer un peu de temps à la scierie Crelicam. Lui et le directeur de la scierie, Matt LeBreton, nous ont retrouvés une fois nos bagages récupérés. Il était minuit quand Andy et moi avons enfin senti sur notre peau l’humidité de l’air tropical. Andy, ayant passé son enfance au Cameroun, s’est facilement réacclimatée à l’atmosphère ; pour ma part, étant né et ayant grandi dans le Massachusetts… Je ne m’y ferai jamais. J’ai commencé à transpirer : j’étais de retour au Cameroun !

Rien qu’en 2022, 6 372 ébènes ont été plantées sur l’ensemble des sites du projet : au total, ce sont 27 810 arbres qui ont été repiqués.

Quelques jours plus tard, Bob, Andy et moi avons rejoint le Dr Vincent Deblauwe et son équipe. Nous avons roulé longtemps avant d’atteindre Somalomo, site d’une station de recherche du Congo Basin Institute à quelques pas du Dja, un cours d’eau. De l’autre côté se trouve la réserve de faune du Dja, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987. Sur la route menant à Somalomo, six villages participent dorénavant à l’Ebony Project. La dernière fois que je suis venu, il n’y en avait que trois. En outre, deux autres ont rejoint l’aventure de l’autre côté de la réserve du Dja, ce qui fait un total de neuf villages (en comptant Ekombité, une localité plus proche de Yaoundé). J’allais me rendre dans ces deux nouveaux villages une semaine plus tard, lors d’un autre déplacement ; à cet instant, je me concentrais sur l’endroit où je me trouvais, et où j’étais déjà venu plusieurs fois auparavant. Pour être honnête… J’étais frappé par l’évolution du projet.

Rien qu’en 2022, 6 372 ébènes ont été plantées sur l’ensemble des sites du projet : au total, ce sont 27 810 arbres qui ont été repiqués. L’an dernier, le projet a également permis de planter 5 402 arbres fruitiers. Ce jour-là, les pépinières du village regorgeaient de jeunes ébènes et fruitiers prêts à être plantés dans quelques mois, à la saison des pluies. Les villageois ont habilement démontré leurs compétences en matière de greffe d’arbres fruitiers : il s’agit d’une technique horticole pratiquée depuis des siècles pour multiplier des végétaux, mais introduite il y a seulement quelques années dans les villages concernés par le projet. Plusieurs des arbres fruitiers repiqués au début du programme donnaient à présent des fruits et permettaient de nourrir des gens. La promesse de centaines d’autres se profilait à l’horizon, peut-être dans quelques années seulement. Quelques années auparavant, j’avais assisté à la plantation de plusieurs ébènes ; certains spécimens étaient à présent aussi grands que moi, voire plus. Chaque participant au projet nous a dit que la plantation d’ébènes contribuait à clarifier le régime foncier local.

Bien que le régime de propriété foncière au Cameroun soit complexe, le gouvernement national pourrait – grâce au projet – reconnaître la propriété individuelle des arbres plantés par les participants au programme. Cette année, l’Ebony Project a mis en œuvre des livrets de sylviculture, qui ont été remis à l’ensemble des sites du projet ; cela contribue à documenter qui a planté quoi, où et quand. Ces livrets ne constituent pas de titre de propriété ; toutefois, ils offrent des preuves de propriété locale/coutumière et de reconnaissance formelle.

Un moment de réflexion

Dans l’ensemble, nous avons été extrêmement satisfaits de notre visite dans ces six villages. Quatre années s’étaient bel et bien écoulées. Cela ne faisait aucun doute. Pourtant, d’après moi, c’est la réaction de Bob qui a été la plus gratifiante à voir. Au cours des 11 années passées, Bob s’est rendu au Cameroun à d’innombrables reprises ; il a passé des centaines d’heures à la scierie Crelicam de Yaoundé. Cependant, c’était la première fois qu’il venait sur le terrain visiter les sites de l’Ebony Project. Ce qui n’était autrefois que purement théorique était à présent concret. Il avait payé la part du lion pour donner vie à ce projet, et il aurait fallu avoir un cœur de pierre pour ne pas être ému par ce que nous avions sous les yeux.

Laver, rincer, recommencer

Quelques jours plus tard, nous étions tous de retour à Yaoundé. Le moment des douches et des lessives était venu. Bob allait rentrer à San Diego. Andy restait encore quelques jours, qu’elle allait consacrer à voir certains endroits et amis d’enfance, et à entrer en contact avec la scène musicale et artistique locale. De mon côté, je me préparais à me rendre vers une nouvelle zone du projet dans et autour de Zoébéfam, au sud-est de la réserve du Dja. Le projet n’était pas actif dans cette région la dernière fois où j’étais venu, mais un village connaissait déjà sa troisième année de plantation ; un autre en était à sa deuxième.

Quelques années auparavant, j’avais assisté à la plantation de plusieurs ébènes ; certains spécimens étaient à présent aussi grands que moi, voire plus.

Lors de ce déplacement, j’ai été rejoint par Virginia Zaunbrecher, de l’UCLA. Depuis le lancement de l’Ebony Project, Virginia et moi sommes régulièrement en contact. Elle et moi sommes les principales personnes-ressources entre Taylor Guitars et l’UCLA, qui supervise le Congo Basin Institute. Bien évidemment, Vincent nous a accompagnés. Il en a été de même pour ses trois chefs de projet : Jean-Michel Takuo, Zach Emanda et Josiane Kwimi, trois Camerounais diplômés en agroforesterie. Ils avaient intégré le projet après ma dernière visite, mais semblaient à présent bien expérimentés ; j’avais hâte de passer du temps avec eux au cours de ce qui promettait d’être un cadre plus calme et plus intimiste que le déplacement effectué quelques jours auparavant.

À mon arrivée dans la nouvelle zone du projet, j’ai été frappé de voir à quel point c’était différent… Mais à quel point c’était identique. C’est difficile à expliquer. La région semblait plus boisée. Moins de gens viennent de l’extérieur. Moins de projets internationaux ont fonctionné à cet endroit. Toutefois, à bien des égards, cela m’a rappelé ma présence dans la région de Somalomo cinq ans plus tôt, lorsque le projet a été mis en route pour la toute première fois. L’endroit semblait être une source d’inspiration, mais d’une fragilité extrême. Je ne pouvais qu’espérer que dans cinq ans, le projet se serait enraciné et qu’il aurait grandi comme dans les villages autour de Somalomo. Cependant, je savais que chaque région, chaque village, présentent des défis uniques. Certains villages sont bantous, et d’autres sont bakas. Cela relève de la politique, une composante que je commence à peine à saisir mais qui, heureusement, est bien appréhendée par l’équipe du projet. Certains villages bénéficient d’une participation active de nombreux membres de la communauté, tandis que d’autres voient quelques ambassadeurs faire le travail. Chaque village est confronté à des difficultés diverses en matière d’insécurité alimentaire, d’accès à l’eau, de soins de santé et d’éducation.

Nous avons dormi dans des tentes et cuisiné sur le feu. La nuit et au cours des trajets en provenance ou à destination des villages, l’équipe et moi avons parlé de l’Ebony Project : ce qui fonctionnait, ce qui était nécessaire, ainsi que les défis à venir quant à l’expansion vers de nouvelles localités. Après plusieurs années de négociations et d’attente (et plus encore), la première allocation d’une subvention quinquennale de 1 million de dollars du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) allait bientôt être versée, et l’Ebony Project pourrait être étendu à trois autres villages. Mais lesquels ? Et où ? Devions-nous nous déployer le long de la route près de Somalomo, du côté nord-ouest de la réserve du Dja, ou existait-il des possibilités de consolider notre position et de nous développer du côté sud-est, près de Zoébéfam ? Devions-nous tenter de lancer un nouveau groupe de projet à l’extrémité est de la réserve du Dja, à proximité de Lomié ? Chaque option présentait des avantages et des inconvénients, avec des considérations à prendre en compte en termes de financements, de logistique et de capacité du personnel. Il y avait matière à apprendre… Et matière à réflexion. J’étais reconnaissant d’avoir une équipe aussi talentueuse avec laquelle collaborer au Congo Basin Institute.

Quand je suis revenu à Yaoundé quelques jours plus tard, Bob et Andy étaient partis. La maison était vide. Vincent, Matthew, Virginia, Jean-Michel et moi avons rencontré des représentants du gouvernement camerounais, du FEM et du Fonds mondial pour la nature au sujet des fonds bientôt à notre disposition et de nos plans d’expansion pour le projet. Au cours des quelques prochains mois, l’équipe devra aviser. Je suis confiant.

Notre ingrédient secret ? La croissance lente et méthodique du projet, reflet de la philosophie toute en souplesse et en adaptabilité de Bob Taylor.

Notre ingrédient secret ? La croissance lente et méthodique du projet, reflet de la philosophie toute en souplesse et en adaptabilité de notre principal bailleur de fonds, Bob Taylor. Ce dernier a apporté au projet une mentalité de start-up axée sur l’activité qui a été essentielle à notre réussite. C’est la même approche que lui et Kurt ont employé pour faire grandir Taylor Guitars. En bref, si quelque chose ne fonctionnait pas, ils en parlaient et rectifiaient le tir. Quand quelque chose était trop complexe, ils cherchaient à faire plus simple. Malgré les contraintes considérables liées à la réception de fonds provenant d’une grande institution multilatérale comme le FEM, je suis confiant. Pratiquer cette nouvelle danse bureaucratique nous rendra plus forts et, je l’espère, nous préparera à nous développer de nouveau encore plus spectaculairement à l’avenir. Pour l’instant, notre objectif est de planter 25 000 arbres fruitiers et 30 000 ébènes supplémentaires d’ici la fin de l’année 2026, et d’intégrer au projet trois autres villages. Vincent publiera bientôt un nouvel article de recherche original et relu par des pairs, dont j’espère pouvoir vous parler d’ici quelques mois. De plus, quelque chose me dit que nous n’avons pas fini d’entendre parler d’Andy Allo et de l’Ebony Project…

En 2021, j’ai rédigé un article dans Wood&Steel intitulé « Ebony Project : Passage à la Phase 2 ». J’y rêvais d’un jour où l’Ebony Project s’étendrait au-delà de la réserve du Dja, dans tout le sud du Cameroun, et un jour encore dans une région du nom de Tridom, une vaste zone comprenant des parties du sud du Cameroun, du Gabon et un petit morceau de République centrafricaine. J’en rêve toujours, bien que ma compréhension des nécessités soit à présent un peu plus réaliste. Mais cela n’est pas impossible. Le plan fonctionne. Notre équipe est peu nombreuse, mais ses membres sont exceptionnels. Et cela, je l’espère encore et toujours, fera l’objet d’un prochain numéro de Wood&Steel !

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